La Mémoire, l’Honneur et La Reconstruction Ne Sont Pas à Politiser
par Felicien Kanyamibwa, PhD.
Habituellement, à cette époque j’écris un article sur un sujet qui me tient à cœur. Au moment où j’essayais de m’imaginer quelle pensée je devais partager avec les autres, je me suis surpris moi-même: je me suis retrouvé entrain de lire le discours que le général Paul Kagame du Rwanda a prononcé le 7 Avril 2013.
Le 7 Avril 2013 il a déclaré ce qui suit dans son discours: «Dans notre commémoration, il est important que nous réconfortions ceux qui ont perdu les leurs ou ceux qui sont devenus orphelins, veuves ou restés sans famille afin qu’ils ne soient pas submergés par l’immense chagrin. Ils ont besoin d’être rassurés pour leur donner le courage et l’espoir de continuer leur vie».
Oui, nous devons nous rappeler, réconforter, soutenir et montrer notre amour à ceux qui ont perdu les leurs, ont été volés de leur joie de vivre une vie pleine et leur sens de l’humanité par les pires criminels. Nous devons notre compassion à nos voisins, amis et compatriotes qui ont vécu avec douleur depuis de nombreuses années. Il est de notre devoir en tant que Rwandais, mais plus important encore, en tant qu’êtres humains de consoler, rassurer, et s’occuper de l’un et l’autre.
En dépit de tout ce que j’ai défendu depuis des années, le discours du général Kagame m’a intrigué. A la première lecture de son discours, on peut penser que le général Paul Kagame a fait un pas impressionnant en avant par rapport à ses discours précédents dont l’objet était surtout d’ alimenter les démons de la division du peuple rwandais.
Malheureusement, je ne crois pas que son discours soit authentique et qu’il envisage de faire correspondre le geste à la parole. Pourquoi? J’ai systématiquement et fortement été en désaccord avec le général Paul Kagame, car à travers ses discours, ses politiques et ses actions, il a poussé le peuple rwandais à croire que, sur base de leur origine ethnique, il y a de bons orphelins et veuves, Tutsi, qui ont le droit d’être consolés et des mauvais orphelins et veuves, Hutu, qui doivent être condamnés, blâmés, rejetés et bannis. Il suffit de lire le premier paragraphe de son discours pour se rendre compte que son message habituel de division n’a pas changé. Les discours du général Paul Kagame ont jeté autour du cou du peuple rwandais le joug de la peur, de la division, et de la dégénérescence.
Se souvenir et Unir; Ne Pas Politiser.
La tragédie rwandaise n’a pas été sélective. Elle n’a pas touché ou épargné des personnes ou des familles sur la base de critères tangibles ou intangibles, comme l’ appartenance ethnique. La tragédie rwandaise a touché toutes les familles, tous les milieux et tous les groupes ethniques. Par conséquent, si nous devons nous rappeler, ériger des monuments commémoratifs, et enseigner à nos enfants afin qu’ils apprennent à leur tour à leurs enfants, notre responsabilité collective nous oblige à traiter chaque victime avec la même dignité et le même respect.
Comme je l’ai écrit dans mon pamphlet du 19 mai 2009 intitulé «Au-delà de la Politique Ethnique et de la Peur: Hutus, Tutsis et l’Identité Ethnique au Rwanda,” beaucoup de familles rwandaises comptent des gens de toutes ethnies confondues, tués par des criminels provenant de toutes les ethnies. Quand ces familles et leurs membres se souviennent et se confortent, elles devraient accepter and embrasser leur diversité dans la tragédie. La tragédie ne devrait pas les diviser. Au contraire la tragédie devrait ununir les membres de ces familles et continuer à les tenir encore plus proche. Les membres de ces familles rwandaises devraient se souvenir et se soutenir les uns les autres, persévérer ensemble, Hutu, Tutsi et Twa. Ces familles n’ont pas besoin de politiser leur tragédie. Les familles rwandaises et leur membres devraient s’atteler à encourager la foi dans leur destiné, l’espoir dans l’adversité et l’amour dans leur marche vers un futur meilleur.
Pouvoir Sans Vertu: l’Antithèse de la Gloire
Le Front Patriotique Rwandais (FPR), représenté par le général Paul Kagame ou peut-être, le général Paul Kagame à la tête du FPR a fait et continuera de faire une grave erreur: on ne peut pas construire un régime sur la douleur d’une partie de la population tout en blâmant l’autre partie et en tournant la vie d’une couche de la population en cendres. À un certain point, cela ne fonctionnera pas. Ce fut le cas avant 1959, en 1990, 1994, 1997, et plus encore aujourd’hui.
Même Machiavel, connu pour être le maître incontesté de real-politics a averti les dirigeants, en particulier ceux qui ont acquis le pouvoir par les crimes, contre une telle approche, dans les termes suivants: «Pourtant, on ne peut pas appeler cela vertu le fait de tuer ses propres citoyens, trahir ses amis, être sans foi, sans pitié, et sans religion; ces modes peuvent permettre d’acquérir un empire, mais pas la gloire. ”
Michaevili poursuit sa logique, en utilisant l’exemple d’ Agathocle, un leader sicilien très vicieux, qui “accéda au pouvoir, non pas grâce au soutien de quiconque, mais à travers les rangs de l’armée, qu’il avait gagné pour lui-même avec mille difficultés et dangers. Il parvint au sommet de la principauté et, après, il maintint le pouvoir avec beaucoup d’actions politiques fougueuses et dangereuses … Car, si l’on considère la vertu de Agathocle à entrer dans et sortir des dangers, et la grandeur de son esprit à supporter et surmonter l’adversité, on ne voit pas pourquoi il doit être jugé inférieur à un leader plus excellent. Néanmoins, sa cruauté et son inhumanité sauvage, avec ses crimes infinis, ne lui permettent pas d’être célébré parmi des hommes excellents. Ainsi, on ne peut attribuer à la fortune ou la vertu ce qu’on a accompli sans ni l’une ou l’autre. ”
Le thème fixé par le gouvernement patriotique rwandais en Avril 2013, est “Se Souvenir, Honorer et Reconstruire.” A priori, il semble que il y ait eu une amélioration dans le choix du thème. Mais, malheureusement, comme les autres thèmes du passe, celui de cette année n’est pas inclusif car il n’est que du, par, et pour une couche de la population. Y aura-t-il un moment où le thème sera de «Se souvenir de et honore toutes les victimes et reconstruire ensemble”?
Le partage d’une mémoire collective de tous les êtres chers disparus et le soutien à toutes les veuves et les orphelins vont nous aider à garder la foi et l’espoir dans la vie afin que nous puissions reconstruire les vies brisées et le pays ensemble dans la fraternité et l’amour. C’est la meilleure voie à suivre, le fondement de base de la nation rwandaise que nous devons laisser aux générations à venir.
Foi, espoir, et l’amour: ce n’est pas seulement un refrain de la religion, c’est aussi un idéal politique; c’est l’humanité.
Aller de l’avant, c’est comme un enfant qui de plus en plus se transforme en un homme ou une femme. La transformation est à la fois physique et spirituelle. C’est un voyage de foi, d’espérance, et en fin de compte, d’apprentissage sur comment honorer et aimer les uns les autres. Parce que, comme le dit l’apôtre Paul aux Corinthiens:
“Lorsque j’étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant; lorsque je suis devenu homme, j’ai fait disparaître ce qui était de l’enfant. Aujourd’hui nous voyons au moyen d’un miroir, d’une manière obscure, mais alors nous verrons face à face; aujourd’hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j’ai été connu. Maintenant donc ces trois choses demeurent: la foi, l’espérance, l’amour; mais la plus grande de ces choses, c’est l’amour. ”
Ainsi, Machiavel le politicien et l’apôtre Paul convergent sur cette vérité indélébile: que ce soit dans la politique, la religion ou dans leur vie quotidienne, les dirigeants doivent s’efforcer d’apprendre leur peuple à maintenir deux principes: la foi en eux-mêmes et l’espérance dans l’avenir. Mais rien ne peut être atteint sans la troisième et la plus importante composante: l’amour pour le genre humain, les gens avec qui l’on partage le voyage de la vie.
La tragédie rwandaise devrait apprendre au peuple rwandais de :
- ne pas laisser les divisions politiques affecter la confiance en soi, au voisin, et dans le pays;
- rejeter des politiciens, des voisins et d’autres personnes qui encouragent la peur ou la méfiance les uns des autres juste à cause de la diversité sociale ou ethnique;
- ne pas laisser la douleur surmonter l’humanité: la personne que chacun a perdu et qui lui est chère est aussi précieuse que celle perdue par un voisin;
Parce que, à la fin de la journée, notre foi en soi, l’un et l’autre et le pays, les espoirs d’un avenir meilleur, et le sens de l’intérêt commun sont l’un des moyens les plus sûrs pour atteindre cet avenir et laisser un bon héritage aux générations à venir.
Felicien Kanyamibwa, PhD
New Jersey, United States of America
April 26, 2013.